L’esthétique (ou philosophie de l’art) est une discipline de la philosophie ayant pour objet les perceptions, les sens, le beau (dans la nature ou l’art), ou exclusivement ce qui se rapporte au concept de l’art. L’esthétique correspond ainsi au domaine désigné jusqu’au XVIIIe siècle par « science du beau » ou « critique du goût », et devient depuis le XIXe siècle la philosophie de l’art. Elle se rapporte, par exemple, aux émotions provoquées par une œuvre d’art (ou certains gestes, attitudes, choses), aux jugements de l’œuvre, à ce qui est spécifique ou singulier à une expression (artistique, littéraire, poétique, etc.), à ce qui pourrait se définir comme beau par opposition à l’utile et au fonctionnel.
Dans le langage courant, l’adjectif « esthétique » se rapproche de « beau ». Comme nom, « esthétique » est une notion désignant l’ensemble des caractéristiques qui déterminent l’apparence d’une chose, souvent synonyme de cosmétique, d’aspect physique et paradoxalement de design.
Étymologie et sémantique
Le mot esthétique est dérivé du grec αίσθησιs / aisthesis signifiant beauté/sensation. L’esthétique définit étymologiquement la science du sensible. Ce sens est présent, par exemple, dans la Critique de la Raison pure de Kant, où l’esthétique est l’étude de la sensibilité ou des sens. Mais l’usage a donné au mot une autre signification, sans rapport avec l’étymologie, lorsque le terme d’esthétique désigne la science du beau ou la philosophie de l’art1. Bien que le mot esthétique soit d’étymologie grecque, il était inconnu dans l’Antiquité, car la science de l’esthétique n’est apparue qu’à l’époque moderne et dans un contexte allemand. C’est le philosophe allemand Alexander Gottlieb Baumgarten, disciple de Christian Wolff, qui, au xviiie siècle, introduit le néologisme « esthétique » (en latin : aesthetica), lui donnant son acception moderne par la publication du premier volume de son Aesthetica, en 1750. Il délimite une discipline philosophique nouvelle et indépendante, en se fondant initialement sur la distinction platonicienne entre les choses sensibles (aisthêta) et intelligibles (noêta)2. Dans l’ouvrage Méditations philosophiques3 (1735), Baumgarten définit l’esthétique comme « la science du mode de connaissance et d’exposition sensible », puis dans Æsthetica (1750) : « L’esthétique (ou théorie des arts libéraux, gnoséologie inférieure, art de la beauté du penser, art de l’analogon de la raison) est la science de la connaissance sensible »4. En effet, Baumgarten considère l’idée du beau comme une perception confuse ou un sentiment, et,de ce fait, comme une forme inférieure de connaissance, d’où l’usage du terme esthétique5. L’esthétique s’oppose à la logique comme les idées confuses s’opposent, dans l’école de Wolff et de Leibniz, aux idées distinctes. Son esthétique est également une théorie des beaux-arts. Elle se substitue historiquement à la Poétique conçue par Aristote.
Le terme esthétique prend une signification différente selon les langues, n’ayant pas été adopté aux mêmes périodes, ni sous l’influence des mêmes œuvres philosophiques (celles de Kant et de Hegel notamment). En outre, ce domaine d’étude est également désigné par des termes synonymes ou proches6. L’esthétique est « la théorie, non de la beauté elle-même, mais du jugement prétendant évaluer avec justesse la beauté, comme la laideur7. » Dans la langue anglaise, le champ de l’esthétique était traditionnellement classé dans la catégorie de la Critic, à la suite de Elements of Criticism (1762) du philosophe Henry Home, se définissant généralement comme « critique d’art » (critic of art). Depuis les années 1950, l’influence dominante de la philosophie analytique dans le monde anglo-saxon tend également à restreindre la portée de aesthetics à la seule philosophie de l’art (Voir esthétique analytique). Dans la langue française, ce champ d’étude était généralement défini, avant le xixe siècle, comme « théorie des arts » ou « critique du goût ». Dans ses commentaires sur les Salons de la seconde moitié du xviiie siècle, Diderot utilise les termes de « manière » ou de « goût » dans sa critique d’art. Charles de Villers écrit en 1799 : « Diderot a voulu introduire dans l’Encyclopédie ce terme d’Esthétique, mais cela n’a pas pris. Nous n’avons sur les principes du goût que des ouvrages fragmentaires et une doctrine éclectique : ces principes ne sont pas rédigés dans un code certain et suivant une méthode vraiment scientifique, il est évident que nous n’avons point d’esthétique8. » Le mot esthétique entre dans la langue française à la fin du xviiie siècle et dans le Dictionnaire de l’Académie française en 1835 seulement. Sa première apparition dans un dictionnaire philosophique est due à Charles Magloire Bénard (le traducteur français de Hegel) en 18459. Le nom désigne « la science du beau » et la « philosophie des beaux-arts ».
Le terme a aussi des dérivés : l’esthétisme, qui caractérise l’évaluation des valeurs humaines du seul point de vue esthétique (selon le beau et l’agréable) ; par la suite il désigne un mouvement artistique et littéraire anglais du XIXe siècle. L’esthétisation (allemand : Ästhetisierung), processus de transformation en réalité esthétique d’un phénomène initialement non esthétique. L’esthète, personne sensible au beau. L’esthéticien, philosophe spécialisé dans le domaine de l’esthétique.
Ouvrages fondamentaux
- Esthétique antique et médiévale
- Platon, Le Banquet, Hippias majeur, Phèdre, Phédon, Ion et La République
- Aristote, Poétique, Rhétorique et Politiques (sur la musique, notamment le livre VIII)
- Horace, Art poétique
- Plotin, Du beau (I, 6)
- Saint Augustin, Traité de la musique
- Boèce, L’Institution musicale
- Esthétique classique
- René Descartes, Les Passions de l’âme (1649)
- Boileau, Art poétique (1674)
- Batteux, Les beaux-arts réduits à un même principe (1746)
- Diderot, Salons (1759-1781) et Encyclopédie, Article « Beau »
- Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, Article « Beau »
- Johann Joachim Winckelmann, Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques dans la sculpture et la peinture (1755)
- Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau (1757)
- Hume, Essais esthétiques
- Lessing, Laocoon (1766)
- Esthétique moderne
- Kant, Observations sur le sentiment du beau et du sublime (1764) et Critique de la faculté de juger (1790)
- Hölderlin, Remarques sur Sophocle (1804) et Lettre à Bohlendorff (4 décembre 1801)
- Hegel, Leçons sur l’esthétique (1818-1829)
- Schelling, Lettres philosophiques sur le dogmatisme et le criticisme (1797), Philosophie de l’art (1802-1803) et Philosophie de la mythologie (1842, 1847-1852)
- Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation (1819, 1844) (wikisource)
- Kierkegaard, Ou bien… ou bien… (1843), La Crise et une crise dans la vie d’une actrice (1848) et Point de vue explicatif sur mon œuvre d’écrivain (1851)
- Charles Magloire Bénard, article « Esthétique », Dictionnaire des sciences philosophiques (1845)
- Jacob Burckhardt, La civilisation de la Renaissance en Italie (1860)
- Baudelaire, Salons (1845, 1846, 1859), Écrits sur l’Art, et L’Art Romantique (1869)
- Nietzsche, La Naissance de la tragédie (1872) et Le Cas Wagner (1888)
- Eugène Véron, L’Esthétique : origine des arts, le goût et le génie, définition de l’art et de l’esthétique…, collection « Bibliothèque des sciences contemporaines », Paris, C. Reinwald et Cie, 1878 ; réédition chez Costes en 1921, puis chez Vrin en 2007 — lire sur Gallica [archive].
- Esthétique contemporaine
- Wittgenstein, Investigations philosophiques (1949) et Leçons et conversations sur l’esthétique, la psychologie et la croyance religieuse (trad. fr. 1992)
- Heidegger, Essais et conférences (trad. fr. 1958) et Chemins qui ne mènent nulle part : « L’origine de l’œuvre d’art » (1950)
- Bachmann, Leçons de Francfort : Problèmes de poésie contemporaine (1959)
- Arendt, Condition de l’homme moderne : « L’œuvre » (1958) et La Crise de la culture (1961)
- Gadamer, Vérité et Méthode (1960)
- Merleau-Ponty, L’Œil et l’Esprit (1961)
- Dufrenne, Esthétique et philosophie (1961)
- Adorno, Théorie esthétique (1970)
- Jean-François Lyotard, Discours, figure (1971)
- Derrida, La Dissémination (1972) et La Vérité en peinture (1978)
- Kristeva, La Révolution du langage poétique (1974)
- Ricœur, La Métaphore vive, Seuil, coll. « Points Essais », (1re éd. 1975) (ISBN 978-2-02-031470-1)
- Jauss, Pour une esthétique de la réception (trad. fr. 1975)
- Eco, Lector in fabula (1979)
- Deleuze, Francis Bacon : Logique de la sensation, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », (ISBN 978-2-02-050014-2)
- Danto, Le monde de l’art (1964) et La transfiguration du banal (1981)
- Goodman, Langages de l’art (1968)