Idées auxquelles s’oppose le romantisme
Mouvements artistiques
I. « Mouvement littéraire » : la notion et l’expression (*)
L’idée de ‘mouvement littéraire’ est apparue au XVIIIe siècle, chez Voltaire (1751)[1] et chez La Harpe (1798-1804) [2]. En effet, les deux auteurs ont essayé de mettre ensemble, dans un groupe unifié que l’on appellera plus tard « Classicisme », les auteurs du XVIIe siècle. Par contre, l’expression de « mouvement littéraire » est bien postérieure à la notion puisqu’elle date du XIXe siècle ; elle est apparue pour la première fois en 1825, d’après le Dictionnaire historique de la langue française[3].
L’expression « mouvement littéraire » désigne « tout le mouvement général de la littérature à une période historique précise »[4]. C’est est un ensemble d’auteurs et d’œuvres présentant, à une époque donnée, une communauté d’idées. Les auteurs, appartenant à un mouvement littéraire, partagent les mêmes idées, les mêmes idéaux et la même vision du monde, de l’homme et de l’art.
Ces travaux visant la classification des œuvres littéraires sont dus à l’émergence de l’histoire littéraire au XIXe siècle. Gustave Lanson explicite la méthode de l’histoire littéraire en ces termes : « Nos opérations principales consistent à connaitre les textes littéraires, à les comparer pour distinguer l’individuel du collectif et l’original du traditionnel, à les grouper par genres, écoles et mouvements, à déterminer enfin le rapport de ces groupes à la vie intellectuelle, morale et sociale de notre pays, comme au développement de la littérature et de la civilisation européenne. »[5]. Selon Gustave Lanson, l’histoire littéraire a pour but de grouper les œuvres d’une époque par genres mais aussi par mouvements et enfin de les mettre en rapport avec la vie intellectuelle, morale, et sociale du moment.
Les historiens de la littérature cherchaient donc à identifier des périodes littéraires précises et à mettre ensemble, sous la même étiquette, des écrivains partageant une certaine vision de la « littérature » et du monde. C’est ainsi qu’on a pu, par exemple, de distinguer les auteurs classiques de ceux qui se présentent et se désignent eux-mêmes comme romantiques. C’est aussi au XIXe siècle, en 1859, qu’est apparu le terme d’”humanisme” pour identifier les auteurs de la Renaissance.
II. Problèmes de terminologie
Des appellations différentes ont été proposées pour référer à la même notion. Il s’agit notamment des termes de « groupe », « cénacle », « école », « génération », « période » et celui de « mouvement » ou « courant ». Or, ces termes n’ont ni le même sens ni la même valeur, comme le montre Henri Peyre dans son livre intitulé Les Générations littéraires (1948)[6].
II.1. « Groupe », « Cénacle »
Le mot « groupe », tel que défini dans le Dictionnaire de l’Académie française, se dit d’un « [e]nsemble de personnes réunies par une communauté de caractères, d’intérêts, d’objectifs, associées pour une activité déterminée ou un but commun. Groupe ethnique. Groupe familial. Groupe social. Appartenir à un groupe littéraire, artistique. Le groupe des Six, mouvement musical du début du XXe siècle. »
De même, « cénacle », terme de l’antiquité romaine (XVe siècle), désigne au sens propre la « chambre haute servant de salle à manger, de salle de réunions ». Au sens figuré, ce terme signifie la « [r]éunion d’un petit nombre de personnes ayant les mêmes idées, les mêmes goûts, professant notamment les mêmes théories ou les mêmes opinions artistiques, littéraires, philosophiques, etc. ». On parle alors d’un cénacle littéraire, de cénacle romantique, des cénacles politiques. Exemples : Le cénacle des jeunes peintres et écrivains romantiques regroupés autour de Victor Hugo ; le Cercle de Médan dont le chef de file est Émile Zola ; l’école symboliste dont les chefs de file sont René Ghil et Jean Moréas.
Ainsi définis, les termes de « groupe » et « cénacle » réfèrent à « une fraternité d’écrivains », c’est-à-dire des écrivains qui se réunissent en un même endroit et qui ont les mêmes idées, les mêmes goûts, les mêmes objectifs et partagent les mêmes habitudes. Rappelons qu’en 1829, Sainte-Beuve a utilisé le mot « cénacle » pour désigner les écrivains réunis chez Victor Hugo. Rappelons également que Balzac, lui aussi, a utilisé ce terme pour faire référence à un groupe d’intellectuels et d’écrivains réunis autour de Daniel d’Arthez.
Dans ce sens, ces deux termes s’appliquent fort bien au romantisme et au surréalisme mais ne sont pas applicables à l’humanisme et au classicisme.
II.2. « École »
Le terme d’école suppose des disciples qui reçoivent des enseignements de celui qu’ils considèrent comme leur maître. Une école littéraire est donc un regroupement étroit d’écrivains qui ont des relations entre eux et qui reconnaissent une certaine autorité à celui qu’ils considèrent comme le chef de fils de leur mouvement[7]. Ainsi, la Pléiade, le Parnasse, le Naturalisme sont bien des écoles littéraires. Par contre, le baroque, le classicisme et même le romantisme ne sont pas des écoles littéraires stricto sensu.
Cependant, un regroupement étroit d’écrivains ne constitue pas nécessairement une école littéraire. Les membres d’un mouvement littéraire comme le Nouveau roman rejette cette appellation : « Ce n’est pas un groupe, ni une école. On ne lui connait pas de chef, de collectif, de revue, de manifeste … », écrit l’un des membres de ce mouvement[8].
II.3. « Mouvement » et « courant »
Le terme « mouvement » vient de l’ancien français « movement » (1190) qui vient du latin movimentum (« mouvement »), lui-même, est issu du verbe latin movere (« remuer »). Le mot français « mouvement » désigne, au sens propre, l’« [a]ction déterminant, pour un être vivant, un changement de position, un déplacement, une évolution » ; au sens figuré, il désigne « [d]ans le domaine des idées, des opinions, des convictions. Action ou suite d’actions entreprises par un ensemble d’individus pour manifester une volonté collective ». Dans ce sens, le terme « [s]e dit spécialement d’une tendance de la vie littéraire ou artistique marquant une évolution, un changement. Le mouvement romantique. ».
Le terme « courant » désigne, au sens propre, le « [m]ouvement d’un fluide dans un sens déterminé ». Au sens figuré, il désigne le « Mouvement des idées ». On dit dans ce sens : « Rien ne résiste aux grands courants d’opinion, de l’opinion. Les grands courants de la pensée contemporaine. Par ses articles, il a créé un courant favorable à la révision du procès. Suivre le courant, l’opinion générale. L’expression « Aller contre le courant » signifie « aller contre les idées en cours » (Dictionnaire de l’Académie française).
Appliqués à la littérature, ces deux termes présentent, relativement aux autres termes, au moins deux avantages :
— le premier est qu’ils mettent en évidence le caractère dynamique, évolutif de la littérature. Celle-ci, loin d’être statique, est en constante évolution et renouvellement. En effet, comme le notent Aubrit et Gendrel, le terme de « mouvement » implique l’idée de transformation, de changement : le passage d’une situation d’immobilité à une autre de mobilité. Par « mouvement », on entend précisément ce qui advient après une période plus ou moins longue de stabilité ; l’avènement du nouveau suscite un dynamisme. Ainsi que l’explique Gabriel Tarde, il existe dans la vie artistique notamment des phénomènes étroitement liés : l’imitation et l’invention. À l’origine du mouvement, il doit y avoir une « invention » première, c’est-à-dire « une trouvaille qui rompt avec une imitation antérieure, tellement répétée parfois qu’elle en a perdu tout dynamisme. » (p. 15). Cette « trouvaille », cette invention « génère du mouvement » : elle met en place un nouveau concept, une nouvelle vision des choses, une nouvelle manière de faire, une nouvelle grammaire qui succède à une autre jugée « obsolète »[11] (p. 15). C’est ainsi que les écrivains se mettent à reproduire cette invention, à la développer, à l’approfondir.
De même, au bout d’un certain temps, ce dynamisme s’essouffle, perd de sa vigueur et les choses se stabilisent encore une fois. Ainsi ce qui était jusque-là perçu comme nouveau devient ancien, traditionnel. Qu’est-ce que la tradition ? La tradition désigne les œuvres antérieures au mouvement, mais aussi les œuvres issues du mouvement en question, qui au bout d’un certain temps se transforme lui aussi en tradition. En d’autres termes, la tradition n’est rien d’autre que l’immobilité[12].
— Le second avantage est que le terme « mouvement » permet de remédier aux insuffisances des autres appellations proposées. En effet, on ne peut pas réduire un mouvement littéraire aux seuls auteurs qui s’en réclament de façon explicite et en exclure les autres. On ne peut pas, par exemple, limiter le réalisme au seul Champfleury qui a revendiqué cette appellation et en exclure Flaubert et les Goncourt ; et on ne peut pas non plus exclure Nerval du symbolisme pour la simple raison qu’il ne s’est jamais présenté comme auteur symboliste[13]. Compte tenu de ces remarques, Aubrit et Gendrel se voient conduits à distinguer nettement « mouvement » et « école ».
Le terme « école » suppose « une adhésion consciente et volontaire à un ensemble de principes et de valeurs, souvent autour d’un chef de file »[14]. Par contre, le terme de « mouvement » renvoie à un phénomène général, plus large dépassant « une simple coterie d’écrivains ». Le terme « mouvement » déborde le cadre strict de l’école au sens sus-indiqué pour couvrir tous les auteurs et toutes les œuvres qui s’inscrivent dans une même tradition littéraire. Ainsi, par « mouvement réaliste », on entendra non seulement les écrivains qui se réclament du réalisme, mais tous les écrivains qui étaient des réalistes avant le terme comme Balzac et tous ceux qui, tout étant des réalistes, n’acceptaient pas ce terme[15]. Il en va de même pour les autres mouvements littéraires.
III. La notion de mouvement littéraire : traits définitoires
À quoi reconnait-on un mouvement littéraire ?
1° Un mouvement littéraire est d’abord un regroupement d’écrivains – qui peut être plus ou moins étroit (école, génération ou période) ou plus ou moins large (écrivains n’appartenant pas à la même génération ni à la même période).
2° Un mouvement littéraire est un regroupement d’écrivains qui présentent une communauté d’esprit et de goût : ils s’appuient donc sur des grands principes, traitent des mêmes thèmes et répondent aux mêmes règles esthétiques (règles d’écriture, etc.). Ces principes, ces règles peuvent être exposés dans des textes ayant une valeur de programme ou de manifestes (manifestes, préfaces, lettres, ou œuvres majeurs du mouvement). En somme, un mouvement littéraire est donc un regroupement d’écrivains ayant une unité esthétique et idéologique[16].
3° Un mouvement littéraire n’est pas limité à une seule discipline artistique. Il peut, en effet, s’exprimer dans plusieurs arts en même temps (architecture, littérature, peinture, sculpture, musique, etc.). Dans ce cas, les écrivains, les peintres, les musiciens, etc. partagent la même vision du monde et de l’art qu’ils expriment, chacun, dans sa discipline.
4° Un mouvement littéraire peut avoir une dimension internationale. Certes, un mouvement littéraire a une date et un lieu de naissance (il voit le jour à une époque donnée, dans un territoire géographique déterminé), mais il peut s’étendre géographiquement pour se répandre sur un continent, voire sur plusieurs. Exemple : l’humanisme est né en Italie et se propage ensuite à l’ensemble de l’Europe, grâce à l’invention de l’imprimerie, en 1448, par Gutenberg. Un autre exemple : le réalisme n’est pas seulement une école littéraire mais un mouvement littéraire qui dépasse les frontières de la littérature française. Dans ce cas, les artistes et écrivains des différents pays adhèrent à la même vision du monde et de l’art et s’influencent mutuellement.
5° Un mouvement littéraire se fait également connaitre par des genres dominants. Ainsi, le classicisme privilégie l’art dramatique ; les Lumières l’écrit argumentatif. Le romantisme a un goût pour le lyrisme alors que le réalisme et le naturalisme préfèrent plutôt les genres narratifs, notamment le roman et la nouvelle. Par contre, le symbolisme s’exprime davantage dans la poésie.
6° Un mouvement littéraire s’inscrit dans une période historique et se définit en relation avec le mouvement littéraire qui le précède : soit il découle du mouvement qui le précède, soit, très souvent, il rompt radicalement avec lui. Dans ce cas-ci, un mouvement littéraire naît en réaction à un autre qui le précède et dont il critique les principes. Ainsi, le romantisme, apparu vers le XIXe siècle, se définit en rupture avec le classicisme qui a marqué le XVIIe siècle français ; et le classicisme lui-même marque une rupture avec la baroque, etc.
7° Certains mouvements littéraires, comme l’humanisme, le baroque, le classicisme et les Lumières, ne sont pas reconnus par leurs auteurs. Ces mouvements n’ont été identifiés, nommés que plus tard, au XIXe siècle, par les historiens de la littérature.
Tout porte à dire que l’histoire de la littérature est l’histoire des mouvements littéraires qui s’opposent les uns aux autres.
(*) Nous devons l’essentiel de cet article au chapitre “Qu’est-ce qu’un mouvement littéraire?” de l’ouvrage de Jean-Pierre Aubrit et Bernard Gendrel: Littérature: les mouvements et écoles littéraires, Paris: Armand Colin, 2019, pp.
[1] Voltaire, Le siècle de Louis XIV (1751)
[2] La Harpe, Lycée (1798-1804)
[3] Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992, réed. 2006
[4] Jean-Pierre Aubrit, Bernard Gendrel, op.cit., p. 9. C’est dans cette acception que l’expression a été utilisée par Georges Pellissier dans son livre intitulé Mouvement littéraire au XIXe siècle (1889).
[5] Gustave Lanson, « La méthode de l’histoire littéraire », La Revue du mois, octobre 1910, p. 398
[6] Henri Peyre, Les Générations littéraires, Paris : Boivin et Cie, 1948
[7] François Trémolières. « École littéraire », Encyclopédie Universalis (en ligne), url : https://www.universalis.fr/encyclopédie/école-litteraire.
[8] Jean Ricardou, Le Nouveau Roman, 1973
[9] Cf. Jean-Pierre Aubrit, Bernard Gendrel, op.cit., p. 11
[10] Cf. ibid., pp. 11-12
[11] ibid., p. 15
[12] Cf. ibid., p. 15
[13] Cf. ibid., pp. 12-13
[14] Ibid., pp. 13
[15] Cf. ibid., p. 13
[16] Cf. Eveleyne Amone et Yves Bomati. Dictionnaire de la littérature française, Paris : éd. Bordas, 2002, pp. 299-300, « Le mouvement littéraire ».