Image mise en avant : Charles Peguy.
La poésie française du XXe siècle est à la fois héritière et novatrice dans ses thèmes comme dans sa forme avec une nette prédilection pour le vers libre.
Les héritiers
Le début du siècle montre une grande diversité avec les héritages du siècle précédent, qu’il s’agisse de la continuité du mouvement symboliste et décadentiste avec Sully Prudhomme, Saint-Pol-Roux, Anna de Noailles et certains aspects d’Apollinaire, de la lignée de la cérébralité et du travail formel mallarméen avec Paul Valéry (Charmes, 1929), ou encore de la libération des thèmes nouveaux comme l’humilité du quotidien avec Francis Jammes (Les Géorgiques chrétiennes, 1912) ou Paul Fort (Ballades françaises, 1922–1951) et l’ouverture au monde moderne avec Émile Verhaeren (Les villes tentaculaires, 1895 ; Toute la Flandre, 1904–1911).
Dans les mêmes années, des voix singulières se font entendre avec ceux qu’on a appelé « les Poètes de Dieu » comme Charles Péguy avec son inspiration patriotique et religieuse et la force d’une poésie simple (Jeanne d’Arc, 1897 – Tapisserie d’Ève, 1913), ou Paul Claudel avec sa quête spirituelle exprimée à travers l’ampleur du verset (Connaissance de l’Est (1896) Cinq Grandes Odes, 1904 – 1908 – 1910)13.
Les novateurs
C’est aussi le temps des « découvreurs » comme Blaise Cendrars (Les Pâques à New York, 1912 – La Prose du Transsibérien, 1913), Guillaume Apollinaire (Alcools, 1913 – Calligrammes, 1918), Victor Segalen (Stèles, 1912), Max Jacob (Le cornet à dés, 1917), Saint-John Perse (Éloges, 1911 – Anabase, 1924, avec une œuvre prolongée dans la durée par exemple Amers en 1957) ou Pierre Reverdy (Plupart du temps, 1945, regroupement des poèmes de 1915–1922) qui explorent « l’Esprit nouveau » en recherchant la présence de la modernité et du quotidien (la rue, le voyage, la technique) et l’éclatement de la forme (disparition de la rime, de la ponctuation, du vers métré et audaces stylistiques exploitant l’expressivité des images, les ressources du rythme et des sonorités…)14.
Ils préfigurent des recherches plus systématisées comme celle du dadaïsme de Tristan Tzara et après lui du Surréalisme qui confie à la poésie l’exploration de l’inconscient en utilisant des dérèglements rimbaldiens et en bousculant les « assis ». L’écriture automatique apparaît également, dans un même objectif. Les poètes majeurs de cette mouvance surréaliste sont André Breton, le théoricien du mouvement avec le Manifeste du surréalisme en 192415, Paul Éluard (Capitale de la douleur, 1926), Louis Aragon (Mouvement perpétuel, 1925), Robert Desnos (Corps et biens, 1930), Philippe Soupault (Les Champs magnétiques, 1920, en collaboration avec André Breton) ou Benjamin Péret (le Grand Jeu, 1928), auxquels on peut associer des peintres comme Dali, Ernst, Magritte ou Miró.
Des dissidences apparaissent rapidement dans le groupe en particulier à propos de l’adhésion au communisme, et les violences de l’Histoire comme l’Occupation de la France vont amener de nombreux poètes à renouveler leur inspiration en participant à la Résistance et à publier clandestinement des textes engagés. C’est le cas de Louis Aragon (Les Yeux d’Elsa, 1942 – La Diane française, 1944), de Paul Éluard (Poésie et vérité, 1942 ; Au rendez-vous allemand, 1944), de René Char (Feuillets d’Hypnos, 1946) ou de René Guy Cadou (Pleine Poitrine, 1946). Les poètes ne seront pas épargnés par l’extermination nazie : Robert Desnos mourra dans un camp allemand et Max Jacob dans le camp de Drancy.
Les individualités
Cependant, des individualités produiront des œuvres qui feront apparaître des approches différentes avec l’onirisme touche à tout de Jean Cocteau (Plain-Chant, 1923), les recherches d’expressivité d’Henri Michaux (Ailleurs, 1948), le jeu verbal d’Hector de Saint-Denys Garneau (Regards et Jeux dans l’espace, 1937 – Le mau vais pauvre va parmi vous, 1938) repris par Jacques Prévert, poète du quotidien et des opprimés (Paroles, 1946–1949) ou par Francis Ponge (Le Parti pris des choses, 1942) à la recherche d’une poésie en prose descriptive. Tous traduisent des émotions et des sensations dans la célébration du monde avec Jules Supervielle (Oublieuse mémoire, 1948) ou Yves Bonnefoy (Pierre écrite, 1965), célébration renouvelée par des voix venues d’ailleurs comme celle d’Aimé Césaire, l’Antillais (Cahier d’un retour au pays natal, 1939 – 1960), de Léopold Sédar Senghor (Chants d’ombre, 1945) ou de Birago Diop (Leurres et lueurs, 1960) qui chantent l’Afrique.
Pistes diverses
La poésie bretonne mérite une mention particulière, avec le lyrique Xavier Grall, le libertaire Armand Robin16, Marie-Pascale Jégou, Charles Le Quintrec, René Guy Cadou, Gilles Baudry…
Vers 1950 est apparu un mouvement de poètes autour des notions de présence, de lieu. Ces poètes étaient Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Philippe Jaccottet, Jacques Dupin ou Loránd Gáspár. En réaction au surréalisme, ils exercent une critique sévère de la notion d’image, préférant une relation juste avec le monde sensible. Ainsi, Yves Bonnefoy affirme : La vérité de parole, je l’ai dite sans hésiter la guerre contre l’image -le monde-image-, pour la présence. Ils veulent se déplacer dans le monde sans l’appui de croyances, rejetant en particulier le néoplatonisme, qui promettrait la plénitude sous réserve du rejet du corps mortel. Ils trouvent appui dans les œuvres de Tal Coat ou Giacometti17.
La poésie-chanson
La chanson populaire a de tous temps été à l’origine de textes dont la qualité poétique égalait parfois les meilleures productions des poètes. À l’origine, ces textes étaient anonymes le plus souvent. À partir du XIXe siècle, pour de nombreuses raisons (dont la mise en place d’une rétribution des auteurs de chansons) les noms des paroliers furent connus.
D’ailleurs la poésie était chantée à l’origine, et la dissociation de la mélodie et du texte peut être imputée à l’imprimerie qui diffusait plus facilement le second. La diffusion de plus en plus massive du disque au XXe siècle allait permettre de revenir sur ce fait.
D’abord, ce nouveau média va fortement participer à un genre nouveau, la poésie-chanson qu’illustrent dans les années 1950-1970 les auteurs-compositeurs-interprètes comme Boris Vian, Charles Trenet, Léo Ferré, Georges Brassens, Barbara, Boby Lapointe, Félix Leclerc, Serge Gainsbourg ou Jacques Brel. L’importance de leurs successeurs est bien délicate à établir tant ils sont nombreux, avec des auditoires très variables et des effets de modes comme le folk song, le rap, le slam, le punk ou le spoken word… Remarquons que la volonté de mettre à égalité art populaire et art savant dans l’après-guerre résulte de la volonté d’émanciper le peuple qu’avaient les forces de gauche, communistes notamment (voir le rôle de Pierre Seghers et de sa collection « Poésie et chansons »). Après 1970, le terme de « poète » a été bien moins souvent et moins fortement attribué aux chanteurs populaires. C’est d’ailleurs la critique et le public qui l’attribuent : rares sont les chanteurs qui se proclament eux-mêmes poètes, ou qui acceptent ce terme. Certains chanteurs du XXIe siècle sont considérés par certains comme des poètes, mais ces considérations restent controversées.
Grâce aussi à ces nouveaux médias venus concurrencer l’imprimerie, l’époque moderne est également marquée par diverses avant-gardes et des créations de poésie expérimentale.
Une certitude est bien que la poésie-chanson continue son épopée en bénéficiant d’artistes qui en privilégient l’essence. La poésie demeure un terrain de création de la pensée où celle-ci peut semer des nouveautés qui abordent des sujets quelque peu occultés par le modernisme tels la spiritualité, la philosophie ou plus simplement la solidarité.
Bibliographie
Anthologies :
- Jacques Roubaud, 128 poèmes composés en langue française, de Guillaume Apollinaire à 1968. Une anthologie de poésie contemporaine, Gallimard, Paris, 1995
- Xavier Darcos, Une anthologie historique de la poésie française, PUF, 2011 (ISBN 9782130585060)
- Robert Sabatier, Histoire de la poésie française en 9 volumes, Albin Michel, Paris, 1975-1982, (ISBN 9782226001429), (ISBN 9782226001436), (ISBN 9782226002150), (ISBN 9782226002167), (ISBN 9782226004260), (ISBN 9782226004284), (ISBN 9782226013965), (ISBN 9782226013989), (ISBN 9782226033994)
- « Derrière les évènements passés transparaissent les idéaux contemporains. Ainsi, quand les héros de la Chanson de Roland et du cycle de Garin combattent vaillamment les Sarrasins, c’est la vision manichéenne d’un monde coupé en deux et bouleversé par les croisades qui transparaît. » Yvonne Bellenger La poésie: Premier et second cycles universitaires, éd. Bréal, 1999 – p. 57
- « L’invention de la fine amor. Au XIe siècle dans le sud de la France naissent les premières chansons en langue romane. Leurs auteurs, les troubadours, sont de grands seigneurs occitans. » Yvonne Bellenger La poésie: Premier et second cycles universitaires, éd. Bréal, 1999 – p. 57
- La Pléiade Les thèmes p. 31 les formes p. 77– Yvonne Bellenger La Pléiade: la poésie en France autour de Ronsard PUF – Que sais-je ?(1978)
- Poésie baroque : L’inconstance et la fuite p. 32 Le spectacle de la mort p. 81, Jean Rousset, La littérature de l’âge baroque en France, éditions José Corti 1954
- « Car il est à la fois philosophe et peintre, et il ne nous montre jamais les causes générales sans les petits faits sensibles qui les manifestent, ni les petits faits sensibles sans les causes générales qui les ont produits. Son œuvre nous tient lieu des expériences personnelles et sensibles qui seules peuvent imprimer en notre esprit le trait précis et la nuance exacte; mais en même temps elle nous donne les larges idées d’ensemble qui ont fourni aux événements leur unité, leur sens et leur support. » Hippolyte Taine, La Fontaine et ses fables (1924) p. 229
- Robert Sabatier, Histoire de la poésie française: La poésie du XVIIIe siècle éd. Albin Michel, 1975, p. 47
- « Il n’y aura pas du coup de théorie cohérente du romantisme français. Chaque poète y joue sa partie, avec un sens spéculatif plus ou moins aiguisé, allant de l’intuition sensible d’un Lamartine à l’introspection rationnelle d’un Vigny, en passant par la critique beuvienne et l’ironisme d’un Musset et les grands échafaudages de Hugo. » page 229 Jean-Pierre Bertrand, Pascal Durand, La Modernité Romantique: De Lamartine À Nerval, éd. Les Impressions Nouvelles, 2006 Paris-Bruxelles
- « Le poète est d’autant plus vraiment et largement humain, qu’il est plus impersonnel. » José-Maria de Heredia, Discours de réception l’Académie française, 1895
- Les Parnassiens se sont opposés au laisser-aller de la forme et du lyrisme confidentiel dont Lamatine et Musset leur semblaient avoir abusé », page 10 – Yann Mortelette Le Parnasse, Presses Paris Sorbonne, 2006
- « Baudelaire dans ce recueil majeur (Fleurs du Mal ) retourne le mal en une poétique, assume la malédiction dont est victime le poète dans une société bourgeoise comme un élan pour la création, transcende la laideur en beauté. Et trouve le beau dans des sujets nouveaux et modernes : la maladie, le spleen, les drogues, la corruption. la ville. » page 478 – Ammirati /Marcandier Littérature française. manuel de poche Presses universitaires de France, 1998)
- « La poésie est pour lui (Mallarmé) une tâche esigeante et difficile, une vocation spirituelle. »page 504 – Ammirati /Marcandier Littérature française. manuel de poche Presses universitaires de France, 1998)
- « Le mouvement symboliste émerge dans les années 1870. Ses représentants s’insurgent contre le matérialisme et le positivisme (…). Ils affirment qu’une réalité complexe et mystérieuse se dissimule derrière les apparences (…). Le rôle du Poète est d’en révéler la présence par la suggestion et la musicalité de ses vers. » page 11 Sophie Bogaert Arthur Rimbaud, Poésies Éditions Bréal, 2000
- les voies spirituelles, p. 47 – Robert Sabatier, Histoire de la poésie française: La poésie du XXe siècle éd. Albin Michel, 1982-1988
- Robert Sabatier, Histoire de la poésie française: La poésie du XXe siècle. 1. Tradition et évolution. 2. Révolutions et conquêtes. éd. Albin Michel, 1982-1988
- Breton définit ainsi le surréalisme : «Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale» André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924, Œuvres complètes I, Éditions Gallimard, 1988, p. 328
- Armand Robin, Le temps qu’il fait, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire » (no 171), 213 p. (ISBN 978-2-07-070585-6, OCLC 22322387).
- La poésie française depuis 1950, 1950 : Habiter [archive]