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Héraclite d’Éphèse (en grec ancien Ἡράκλειτος ὁ Ἐφέσιος / Hêrákleitos ho Ephésios) est un philosophe grec de la fin du vie siècle av. J.-C., natif de la cité d’Éphèse.
La naissance d’Héraclite serait contemporaine de la mort d’Anaximandre1. Héraclite naît à Éphèse dans la seconde moitié du vie siècle av. J.-C., vers 544–541 av. J.-C. (il avait quarante ans dans la 69e olympiade — 504–501 av. J.-C. — selon Diogène Laërce2). D’après Aristote, il serait mort à l’âge de 60 ans, donc vers 480 av. J.-C.3. Des lettres apocryphes4 le désignent comme un contemporain de Darius Ier ; ce dernier aurait invité Héraclite à sa cour, mais le philosophe aurait décliné l’invitation. D’autres sources situent son floruit dans la 80eou la 81e olympiade5 ; en effet, selon Strabon, Hermodore, un Éphésien qui avait aidé les décemvirs romainspour la confection des Douze Tables, était ami d’Héraclite. Héraclite serait donc né après 510 av. J.-C., et mort autour de 450 av. J.-C. ; cette datation n’est généralement pas retenue, car la différence d’âge suffirait à résoudre cette contradiction. Clémence Ramnoux6 situe l’acmé d’Héraclite entre la bataille de Marathon et la bataille de Salamine, et dit sa vieillesse contemporaine de la libération de l’Ionie, soit après la bataille de Platées, soit peu après.
Héraclite est issu d’une famille illustre et sacerdotale. Il renonce en faveur de son frère aux privilèges que lui donnait le statut de descendant de Codros, roi d’Athènes, dont le fils, Androclos, fonda Éphèse. Parmi ces distinctions, on comptait la fonction honorifique de roi ou la présidence des cérémonies de Déméter7. Il lutta contre les démocrates de sa ville, et n’était guère apprécié de ses concitoyens. Son ami Hermodore fut banni de la ville :
« Les Éphésiens méritent que tous ceux qui ont âge d’homme meurent, que les enfants perdent leur patrie, eux qui ont chassé Hermodore, le meilleur d’entre eux, en disant : « Que parmi nous il n’y en ait pas de meilleur ; s’il y en a un, qu’il aille vivre ailleurs. »
— (Fragment 121, Diogène Laërce, IX, 2)
Lui-même semble avoir été persécuté pour athéisme[réf. nécessaire] (mais cette assertion est tardive et on la trouve chez des auteurs chrétiens, Justin de Naplouse et Athénagoras d’Athènes). Il y a unanimité des Anciens sur son lieu de naissance, Éphèse8. Il était fils de Bloson (ou Blyson) ou, selon d’autres traditions, d’Héracon9 — ce dernier nom était peut-être en fait celui de son grand-père. Bien avant Socrate, il aurait appliqué à la lettre le Connais-toi toi-même Γνῶθι σαυτόν, car, disait-il, « il faut s’étudier soi-même et tout apprendre par soi-même »10. Nous ne savons d’ailleurs rien de ses maîtres ; les anciens ne savaient pas où le situer dans la série des philosophes. Il semble donc avoir été un autodidacte. Les anecdotes sur sa mort sont contradictoires. Ermite, il partit vivre dans la montagne, vivant de plantes ; mais, étant tombé malade il mourut d’hydropisie, d’autres disent qu’il mourut plus tard d’une autre maladie.
On suppose en suivant les anciens qu’Héraclite écrivit un seul et unique livre dont il ne nous reste que quelques fragments (plus d’une centaine). Selon la Souda, « il écrivit beaucoup d’ouvrages, en un style poétique », mais cette dernière indication est évidemment très incertaine. Les meilleurs analystes français, à ce jour, d’Héraclite demeurent Marcel Conche, Jean Bollack et Heinz Wismann.
Ce livre, dont l’existence demeure hypothétique11, aurait été écrit en ionien, langue d’Héraclite, et est désigné sous le titre Sur la nature (Περὶ φύσεως / Perì phýseôs). On le connaît également sous le titre de Mousai, les Muses (titre qui semble venir de Platon12). Il existe également des lettres apocryphes d’Héraclite.
« Héraclite l’Obscur », détail de L’École d’Athènes de Raphaël, 1509
Héraclite aurait déposé son œuvre sur l’autel d’Artémis13. On peut y voir la volonté de protéger son œuvre écrite dans un lieu sûr de sa région natale, pour éviter qu’elle soit perdue14. Héraclite fut en effet, avec Anaximandre, l’un des plus anciens auteurs à mettre par écrit des textes en prose. Peut-on aussi y voir un geste d’une générosité désespérée ? Car située à la frontière entre le monde civilisé et le monde sauvage, Artémis aurait ainsi pu en faire bon usage, elle qui préside à l’initiation des petits d’hommes et d’animaux et les accompagne jusqu’au seuil de la vie adulte. Ce livre totalement incompris et oublié par l’histoire, lui valut en effet le surnom d’« Héraclite l’Obscur », car on jugeait la compréhension de sa pensée difficile en raison d’une écriture poétique, de l’abondance des formules paradoxales, à quoi s’ajoutait15 l’absence de toute ponctuation, un style haché et détaché. Étrange sort réservé à ce livre dont la densité l’élèverait au rang d’œuvres mondiales tel le Tao-Te-King ou les Yoga Sutras, et qui reste victime de l’oubli et de commentaires aussi peu élogieux que peu vérifiables. Aristote se plaint ainsi :
« C’est tout un travail de ponctuer Héraclite, car il est difficile de voir si le mot se rattache à ce qui précède ou à ce qui suit. Par exemple au commencement de son ouvrage, il dit : le logos / ce qui est / toujours / les hommes sont incapables de le comprendre. Il est impossible de voir à quoi toujours se rattache, lorsque l’on ponctue16. »
Une autre interprétation peut se décrypter ainsi :
Ce style semblait mieux convenir à la profondeur de sa pensée ; et, en effet, il compare ses discours aux propos graves et inspirés de la Sibylle et aux oracles du dieu de Delphes. Ce ton oraculaire a été bien souvent mal perçu, car lorsque le lecteur s’en donne la peine, il y trouve non pas l’obscurité, mais au contraire de multiples interprétations possibles amenant le lecteur au sens le plus profond de la philosophie.
D’après Diogène Laërce17, l’ouvrage d’Héraclite aurait été composé de trois parties : Sur le tout ou Sur l’univers (en grec ancien Περὶ φύσεως)18, Sur la politique et Sur la théologie. Cette division thématique relève cependant d’un anachronisme basé sur des divisions scolaires datant de la période hellénistique19
Selon une citation rapportée par le péripatéticien Théophraste, Héraclite d’Éphèse pense que « Le plus beau ciel n’est qu’une sorte de balayure de choses répandues n’importe comment. »20. La pensée d’Héraclite, parfois désignée sous le nom de mobilisme, s’oppose à Pythagore autant qu’à la pensée de Xénophane et est l’extrême opposé de l’éléatisme1. Pour Parménide, l’unité de l’être rend impossible la déduction du devenir et de la multiplicité ; pour Héraclite, au contraire, l’être est éternellement en devenir. Héraclite nie ainsi l’être parménidien. Néanmoins, certains en font un disciple de Xénophane de Colophon21 ou du pythagoricien Hippase de Métaponte, et Hippolyte de Rome le range parmi les pythagoriciens. Les choses n’ont pas de consistance, et tout se meut sans cesse : nulle chose ne demeure ce qu’elle est et tout passe en son contraire.
« À ceux qui descendent dans les mêmes fleuves surviennent toujours d’autres et d’autres eaux22. »
Tout devient tout, tout est tout. Ce qui vit meurt, ce qui est mort devient vivant : le courant de la génération et de la mort ne s’arrête jamais. Ce qui est visible devient invisible, ce qui est invisible devient visible ; le jour et la nuit sont une seule et même chose ; il n’y a pas de différence entre ce qui est utile et ce qui est nuisible ; le haut ne diffère pas du bas, le commencement ne diffère pas de la fin :
« La mer est l’eau la plus pure et la plus souillée ; potable et salutaire aux poissons, elle est non potable et funeste pour les hommes23. »
« Joignez ce qui est complet et ce qui ne l’est pas, ce qui concorde et ce qui discorde, ce qui est en harmonie et en désaccord ; de toutes choses une et d’une, toutes choses24. »
Rien n’est donc plutôt ceci que cela, mais tout le devient. Les choses ne sont jamais achevées, mais sont continuellement créées par les forces qui s’écoulent dans les phénomènes. Les choses sont des assemblages de forces contraires, et le monde est un mélange qui doit sans cesse être remué pour qu’elles y apparaissent :
« La guerre est le père de toute chose, et de toute chose il est le roi25 »
Pour Héraclite, logos renvoie à la fois à sa propre doctrine ainsi qu’à, et ceci en est le sens principal, la loi fondamentale, le principe de toutes choses qu’il s’agit de connaître.
Cette connaissance est la sagesse, et elle consiste à suivre l’un :
« νόμος καὶ βουλῇ πείθεσθαι ἑνός. »
« La loi et la sentence sont d’obéir à l’un. »
— (Fragment 33, Clément d’Alexandrie, Stromates, V, 116)
« ἓν τὸ σοφὸν μοῦνον λέγεσθαι οὐκ ἐθέλει καὶ ἐθέλει Ζηνὸς ὄνομα. »
« L’un, qui seul est sage, veut et ne veut pas être appelé du nom de Zeus. »
— (Fragment 32, Clément d’Alexandrie, Stromates, V, 116)
Mais, bien que le logos soit commun à tous les hommes, ces derniers l’ignorent comme s’ils avaient chacun une intelligence propre (Fragment 2) :
« (τοῦ δὲ) λόγου τοῦδ’ ἐόντος (ἀεὶ) ἀξύνετοι γίγνονται ἄνθρωποι καὶ πρόσθεν ἢ ἀκοῦσαι καὶ ἀκούσαντες τὸ πρῶτον· γινομένων γὰρ (πάντων) κατὰ τὸν λόγον τόνδε ἀπείροισιν ἐοίκασι, πειρώμενοι καὶ ἐπέων καὶ ἔργων τοιούτων, ὁκοίων ἐγὼ διηγεῦμαι διαιρέων ἕκαστον κατὰ φύσιν καὶ φράζων ὅκως ἔχει. τοὺς δὲ ἄλλους ἀνθρώπους λανθάνει ὁκόσα ἐγερθέντες ποιοῦσιν, ὅκωσπερ ὁκόσα εὕδοντες ἐπιλανθάνοντα. »
« Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois. Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune expérience de paroles et de faits tels que je les expose, distinguant leur nature et disant comme ils sont. Mais les autres hommes ne s’aperçoivent pas plus de ce qu’ils font étant éveillés, qu’ils ne se souviennent de ce qu’ils ont fait en dormant. »
— (Fragment 1, Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens, VII, 133)
Il s’agit d’obtenir un réveil pour apercevoir ce Logos qui échappe à tout homme car masqué par notre stupidité. Il est l’instrument censé servir à la prise de conscience humaine. Ce thème du réveil, de la ressouvenance de l’appartenance de l’homme à un ordre dit cosmique est déjà présent chez Pythagore et repris, transformé chez Platon.
Quelle est plus précisément sa teneur ? On trouve d’abord les idées d’écoulement et de mobilité universelle, de la lutte nécessaire des contraires, harmonieux dans leur opposition même, de l’identité de ces mêmes contraires, et, en outre, un aspect surprenant, à savoir que le Logos est en même temps le feu.
Johannes Moreelse, Héraclite, xviie siècle
Le feu est le principe de toutes choses. Il est en soi un dieu selon Héraclite. Il est la réalité du mouvement, et l’état premier et dernier du cosmos à travers ses cycles :
« κόσμον (τόνδε), τὸν αὐτὸν ἁπάντων, οὔτε τις θεῶν, οὔτε ἀνθρώπων ἐποίησεν, ἀλλ’ ἦν ἀεὶ καὶ ἔστιν καὶ ἔσται πῦρ ἀείζωον, ἁπτόμενον μέτρα καὶ ἀποσϐεννύμενον μέτρα. »
« Ce monde a toujours été et il est et il sera un feu toujours vivant, s’alimentant avec mesure et s’éteignant avec mesure. »
— (Fragment 30, Clément d’Alexandrie, Stromates, V, 105)
Ce feu est une loi à laquelle on ne peut échapper : « Qui se cachera du feu qui ne se couche pas ? »26
Cependant lorsque nous ne participons pas à ce logos, dit par exemple Héraclite, c’est que notre âme est « humide », c’est-à-dire tombée dans l’élément opposé au feu, l’eau. Mais comme dit précédemment, le feu est une loi à laquelle on ne peut échapper car tout naît à travers lui, il est l’origine de tout sans être directement visible. (Feu condensé devient humidité, quand il est comprimé, l’eau. L’eau congelée devient terre, etc.)
Ce feu se transforme en se raréfiant ou en devenant plus dense, suivant des fluctuations périodiques qui suivent le destin. Ainsi le monde est-il éternel, mais créé et détruit selon un retour éternel. Cette partie de sa cosmogonie se retrouvera chez les stoïciens. Ce feu est aussi le logos universel, la raison commune à tous dont l’harmonie est le résultat des tensions et des oppositions qui constituent la réalité. Le devenir lui-même s’explique ainsi pour lui par la transformation des choses en leur contraire et par la lutte des éléments opposés. Cette connaissance du logos est pour lui toute la sagesse.
Ces thèses seront combattues par presque tous les philosophes dogmatiques, car elles nient le principe d’identité et abolissent le raisonnement purement logique. Platon reprend par exemple la thèse héraclitéenne d’un flux perpétuel, mais y ajoute sa théorie des Idées.
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